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Bulletins du club

Récit croisière de formation à St-Malo

Ah, les belles Anglo-Normandes !

Affamés d’embruns, ivres d’émotions océanes, nos sept marins en herbe, sous la sereine conduite de leur skipper Yves, avaient aiguisé leur opinel. La marée de ce 7 septembre était calculée à la seconde, la route tracée au cordeau, bref : on allait voir ce qu’on allait voir, St-Malo, nous voilà ! Et puis, la panne, le vide, l’humiliation suprême de l’aventurier : le train (cet obscur moyen de transport qui ne connaît pas la vague) qui plante en rase campagne, l’attente qui n’en finit jamais, la carte SNCF qui nous promet un dédommagement pour le service jamais rendu. Adieu les moules à St-Malo ce soir, adieu la cale bien garnie et le départ au petit matin. Le rail nous a pris en traître.

Il a bien fallu se venger. Rattraper le temps perdu, et la mer s’en est chargée, dès le samedi matin, belle et généreuse pendant tout notre périple. Une fois la soute pleine à craquer de saucisson et biscuits salés, indispensables compagnons de nos futurs apéros (Maître Xavier avait beaucoup insisté), nous embarquons pour Chausey, un peu trop peuplée à notre goût pour y mouiller. Le passage à travers les hauts fonds saillants, les yeux rivés sur la sonde, et le coup de barre à la Grande Entrée, nous rappelle une évidence : on ne plaisante pas dans les Iles Anglo-Normandes, où un trou dans la coque est si vite arrivé. Nous mouillons de nuit, proche d’un parc à moules. Puis au matin, cap sur Jersey à travers le plateau des Minquiers, où un petit force 4 et une légère houle permet aux moins accoutumés de faire connaissance avec le mal de mer. Il faudra toute la science culinaire de Pascal et de son magret de canard – toujours le champion de la graisse – pour nous remettre d’aplomb.

Désignés volontaires pour les croissants du matin à St-Peter, la fine équipe composée de Berardino, Xavier et le soussigné apprennent à leur dépens qu’il est conseillé de NE PAS OUBLIER le talkie walkie et une pagaie à bord du dinghy, qui peut tomber en panne et dériver au large. Pas très fiers, nos trois marins d’eau douce s’en tirent bien et s’évitent surtout de faire hurler de rire les austères banquiers de Jersey. La traversée vers Alderney est un merveilleux exercice à la barre, dans lequel notre amoureux du Corsaire, Frédéric, excelle. L’occasion de voir aussi qu’un Océanis 43 de 13 mètres et 3 tonnes, ça danse sur la vague, mais ça ne fait pas le malin dans les courants d’Alderney.

Au petit matin du 11, il fait encore nuit quand nous lâchons les amarres de notre bouée d’Aurigny, pour notre journée la plus longue, 75 milles par vent de nord ouest, à travers l’île de Sark jusqu’à Tréguier. Où nous constatons la violence d’une baume qui bascule par vent arrière et qui rompt son amarre de sécurité. Jean-Michel, notre co-skipper, a failli en perdre son bonnet, ce qui n’aurait été que le second couvre-chef laissé à la mer durant cette aventure. Pas si mal.

C’est fou ce que la côte française compte comme clochers ! Patrick, commis à la navigation et à l’entrée du chenal compliqué de Tréguier, et le soussigné s’emmêlent le sextant dans une plantation de clochers, qui complique considérablement les relèvements. Un solide pique-nique dans un mouillage des Iles de Bréhat nous met d’aplomb pour filer vers St-Quay, où des bancs de dauphins nous conduisent jusqu’au soir, relayés par une armada de feux de couleur dans la nuit. Le plat de marin concocté par Jean-Michel (pas loin du million de calories par centimètre carré) finit de nous achever et surtout de nous tenir au ventre jusqu’à l’arrivée le 14 devant St-Malo, avec un beau vent d’ouest de force 4.

La rituelle remise du bateau au prochain équipage est consacrée par de généreuses marmites de moules. St-Malo et ses Malouines savent recevoir les marins et les porter, à travers la nuit blanche, jusqu’au train du matin. Mais St-Malo a failli garder Patrick, qui a bien fêté ses milles et qui, c’est bien connu, déteste le train.

Jean-Philippe Ceppi

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